« No lights no lycra », danse de curés ?

No lights No lycra, Melbourne, le 8 fév. 2012 (level 0 de l’église située corner Nicholson st. / Clauscen st., à Brunswick East)

Quand M. m’en a parlé, ça m’a plutôt bien motivé: une heure et demi de dancefloor sans discontinuer, dans le noir, sans alcool, sans clopes, sans drogues ni consommation de quoi que ce soit. Le tout dans le sous-sol d’une église ! Excitant, non ?

Alors il est 19h, la grande pièce du sous-sol de l’église ressemble à une salle des fêtes. Toutes les lumières sont éteintes (à part les chiottes et les lumières de « sécurité » / issues de secours). Au début, on ne voit presque rien, mais très vite, on s’acclimate, on voit tout à nouveau, ou presque.

Ça sent la naphtaline, comme une odeur d’interdit, un peu comme si on dansait dans le sous-sol d’une maison de grands-parents pas au courant, ou d’un squat à peine ouvert, ou de tout autre lieu rendu inhabituellement vivant. Mais si ça a l’odeur de la transgression, ça n’en a pas forcément la consistance…

Aucun affect n’est palpable, la musique est relativement morne, les enchaînements entre les morceaux sont pitoyables (blancs systématiques de 3 ou 4 secondes), on ne sent aucune vibration collective, aucune communication, aucune complicité entre les personnes présentes : chacun-e danse dans son coin, on ne trouve pas même des groupes de deux, personne ne se parle, personne ne se touche, personne ne se sent, et, étonnant : personne ne se regarde  ! Pourtant, on voit tout, on voit bien que tout le monde est tourné dans le même sens, tout le monde fait face à la scène, sauf que sur la scène, il n’y a rien, juste un rideau fermé.

Au début, j’étais en mode un peu dans tous les sens, à checker autour de moi, à essayer de trouver ma place, plutôt tourné vers le fond car faisant ainsi face à mes deux potes (avec qui je suis venu). Mais je me suis vite aperçu que j’étais le seul à être dans le « mauvais sens ». Je me suis progressivement forcé à faire « comme tout le monde », à contre-coeur, et j’ai vite lâché l’affaire : j’avais l’impression d’être un zombie parmi d’autres zombies ! Aucune possibilité d’initiative individuelle, juste rester là avec les autres en rang d’oignons… Pfff.

Cela dit, derrière la pauvreté des relations sociales que cache ce dancefloor particulier, il y a la pauvreté des rapports hommes-femmes des boies de nuit « classiques ». Dans ce sous-sol d’église, il y a facilement 90% de femmes, et vu le fonctionnement implicite du dancefloor, c’est sûr que c’est le bon plan pour ne pas se faire emmerder par un ou des dragueurs lourdingues imbibés d’alcool. Et vu la proportion de femmes, j’imagine que cette ambiance sans vie, ultra-individualiste, leur convient en général mieux qu’aux mecs.

Au final, cette tristesse de dessous d’église n’est que l’autre versant de la tristesse inhérente à la pseudo-débauche des fêtes de la société patriarcapitaliste, ses clivages masculin/féminin et sa perpétuelle consommation de marchandises (légales ou non).

Ce dancefloor est bien sûr une illustration de l’atomisation de chaque individu dans cette société. Comme dans d’autres circonstances, chacun-e s’amuse seul-e au milieu des autres. On n’est pas « ensemble », on est juste les uns à côté des autres. Et dehors, c’est la même ! Quand je suis sorti, bien avant la fin, il faisait encore jour, et j’avais un peu envie de décorer la devanture de l’église… Il y avait ce panneau vide de toute inscription qui n’attendait qu’un marqueur, mais aussi pas mal de monde dans la rue. Enfin je me suis vite aperçu que presque tout le monde avait le regard perdu dans son smart-phone, autre manifestation de l’atomisation sociale, alors hop hop, je n’ai pas perdu de temps…

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